Traduit par Anne-Marie Tatsis-Botton

Quand il y a la guerre, nous n’arrêtons pas de courir en rond en hurlant confusément. Quand il y a la guerre, nous rentrons instinctivement la tête dans les épaules et essayons d'occuper le moins d'espace possible, de faire le moins de bruit possible.

Quand il y a la guerre, on a envie de se boucher les oreilles, de se couvrir les yeux et ne rien savoir du tout. Quand il y a la guerre, on ne peut pas s'empêcher de lire les nouvelles, en s’interrompant pour de courts sommeils agités hantés par ces mêmes nouvelles, répétées avec des détails encore plus monstrueux.

Quand il y a la guerre, l'ancienne foi dans le bon sens et même dans le profit cynique se dissipe comme la proverbiale fumée. Quand il y a la guerre, on se souvient de la vieille plaisanterie :

« Le pessimiste : ça ne peut pas être pire.

L’optimiste : Mais si ! mais si ! »

Quand il y a la guerre, le pays devient fou et le sol se dérobe sous nos pieds. Quand il y a la guerre, des clowns sanguinaires s’emparent du pays.

Quand il y a la guerre, même le possessif « notre » est empoisonné par la schizophrénie patriotique : ainsi, de « notre pays » on peut glisser à « nos chars », « nos fusées » et « nos soldats ». Le concept « pays » se désagrège finalement en « pouvoir », « diverses personnes » et « paysage »

Quand il y a la guerre, on comprend mieux l’antique sagesse selon laquelle nous naissons seuls et mourons seuls. Quand il y a la guerre, les inconnus deviennent plus gentils et les frontières plus conventionnelles, car on ne sait ni où, ni dans quelles conditions on se retrouvera dans un mois.

Quand il y a la guerre, les amis d'enfance peuvent devenir une source de danger et les ennemis désignés par l'État peuvent devenir nos frères par l’esprit, et nos frères tout court. Quand il y a la guerre, la ligne de front passe en chacun de nous et coïncide généralement avec la ligne de conscience.

Quand il y a la guerre, le genre littéraire le plus demandé intérieurement est la prière, et la pratique intérieure la plus utile est le tonglen*.

Quand il y a la guerre, chacun s'efforce d'avoir une vision claire et se trace sa propre ligne rouge. Quand il y a la guerre, le « nous » n’existe pas.


*Le tonglen ou tonglèn est une pratique méditative du bouddhisme tibétain, permettant de développer la compassion.

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